Jean Pierre Lafon : Monsieur l’ambassadeur
Féru de voyages et de découvertes, Jean-Pierre Lafon a passé plus de 60 années de sa vie à représenter les valeurs de la France dans le monde entier. Aujourd’hui en retrait de la diplomatie tricolore, l’ex-ambassadeur met son expérience et son regard avisé au service d’associations et de fondations. Il est notamment le président du Paris MENA légal Club, réunissant les décideurs juridiques exerçant dans les régions du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord. Portrait d’un humaniste.
Difficile de retracer le parcours de Jean-Pierre Lafon en quelques lignes. « Je suis un serviteur de la République », affirme ce diplomate à la mémoire impressionnante. Homme de terrain, ce gaullien aura multiplié les fonctions avant d’être nommé ambassadeur de France (au Liban et en Chine), puis secrétaire général du ministère des Affaires étrangères en 2004. Et s’il a souvent été proche du pouvoir, le haut fonctionnaire n’a jamais voulu s’engager en politique. « Je ne suis pas un partisan », affirme celui qui, enfant déjà, rêve de voir le monde.
Promotion 1968
C’est d’ailleurs pour assouvir son envie de découverte qu’il se tourne vers la diplomatie. « L’ENA ne m’a pas apporté grand chose, sauf un stage très formateur au sein de l’une des plus petite préfecture de France », témoigne avec franchise celui qui préfèrera toujours le terrain à la bureaucratie. Diplômé de la prestigieuse école en 1968, Jean-Pierre Lafon intègre la même année la direction des relations culturelles du quai d’Orsay avant d’être détaché pour son premier poste à l’étranger. Direction Londres. « C’était l’époque de l’entrée de l’Angleterre dans l’Union européenne », se souvient-il non sans une pointe d’ironie vis-à-vis de l’actuel Brexit. Après deux années passées outre-Manche, il est envoyé aux Nations unies à New York puis à Genève pour la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe.
On ne naît pas diplomate, on le devient
« La meilleure de toutes les écoles »
« J’avais envie de missions plus concrètes, d’être sur le terrain, explique-t-il. C’est pourquoi j’ai demandé à partir en Iran. » Une expérience cruciale dans la carrière du diplomate qui est nommé chef de la mission culturelle et de coopération technique de l'ambassade de France. Quelques mois seulement après son arrivée à Téhéran, la révolution islamique éclate. Et tandis que personne ne semble à Paris et à Washington prendre la mesure de la crise, l’ambassadeur Raoul Delaye — pour qui Jean-Pierre Lafon gardera un grand respect—, lui, voit venir la chute du Shah. « Vivre une telle situation avec un tel ambassadeur aura été la meilleure de toutes les écoles », assure celui qui est rappelé par le ministère des Affaires étrangères au bout de trois ans et demi. Passionné et curieux, le jeune diplomate décide, contre l’avis du Quai d’Orsay, de rejoindre l’Hexagone en voiture. Un périple qui durera plusieurs semaines. Immergé dans les pays qu’il traverse, il prend le temps de découvrir de nouvelles cultures, d’admirer des lieux, des paysages. Une expérience qui en dit long sur son goût pour l’autre, pour la différence, pour la rencontre.
Du Niger au Liban
Une fois arrivée à Paris, Jean-Pierre Lafon est nommé inspecteur des Affaires étrangères, poste à travers lequel il découvre un grand nombre de pays : l’Albanie, l’Inde, le Japon, la Corée, la Chine…. Quelques années plus tard, parce que la conjoncture politique ne lui est pas favorable, la gauche étant au pouvoir, il choisit le poste de Consul de France au Niger. Une fonction sans grand intérêt diplomatique. Peu importe. L’homme n’a rien d’un carriériste et sait qu’il peut être utile. Après cet épisode africain, il restera quelques années en France. D’abord au sein du cabinet du Premier ministre puis à la direction des Nations unies et des organisations internationales.
Un jour, Dominique de Villepin m’appelle et me dit qu’il faut remplacer l’ambassadeur à Beyrouth. Six mois plus tard, je m’envole pour le Liban
« Un jour, Dominique de Villepin, alors directeur du cabinet du ministre des Affaires étrangères, m’appelle et me dit qu’il faut remplacer l’ambassadeur à Beyrouth. Six mois plus tard, je m’envole pour le Liban », se souvient celui qui, en 1994, découvre un pays tout juste sorti de la guerre. La présence de la France est entièrement à reconstruire. Très vite, le haut fonctionnaire se met au travail, et s’entoure d’une nouvelle équipe. In fine, il sera à l’initiative de plusieurs grands projets comme la création de l’école supérieure des affaires de Beyrouth, un établissement franco-libanais aujourd’hui classé parmi les meilleures formations du Moyen-Orient.
Les Français du bout de monde
Au bout de trois ans, l’ambassadeur estime avoir terminé sa mission, rentre au Quai d’Orsay et prend la tête la direction des Français à l’étranger et des étrangers en France (supprimée sous la présidence de Nicolas Sarkozy). Un poste à travers lequel il s’épanouit pleinement. Ce qu’il aime avant tout ? S’entourer d’une équipe solide et traiter de sujets concrets. Il part alors à la rencontre des Français « du bout du monde », en Afrique du sud, à Madagascar, à Mexico, à Pékin, à Hanoi. Visite les institutions de la République (lycées, maisons de retraite, hôpitaux…), est aux côtés du Président lorsque celui-ci reçoit les familles de Français pris en otages. Il sera même l’artisan du site internet visant à informer les voyageurs de la sécurité des différents pays du monde, aujourd’hui largement utilisé. Mais parce qu’il veut systématiquement se renouveler et ne jamais stagner, au bout de cinq ans, en 2002, Jean-Pierre Lafon demande un nouveau poste.
« Nos vrais amis sont là »
« Le président Jacques Chirac me propose de devenir ambassadeur en Chine », raconte-il. Une aubaine. Car Jean-Pierre Lafon a toujours été interpellé par la culture chinoise, sa philosophie, sa pensée…. Désireux de découvrir ce pays, alors en pleine mutation, il en visite les coins les plus reculés. « Y compris la route de la drogue et les frontières avec l’Asie centrale », précise-t-il non sans une pointe de fierté de s’être aventuré là où aucun diplomate n’était allé depuis la guerre. Et lorsque la Chine subit une grave épidémie et que la plupart des pays du monde lui tourne le dos, Jean-Pierre Lafon encourage la visite du premier Ministre Français de l’époque, Jean-Pierre Raffarin, de faire le déplacement pour démontrer son soutien. « Il lui ont été réservé une visite digne d’un chef d’État, explique-t-il. “Nos vrais amis sont là”, pouvait on entendre en boucle à la télévision chinoise. »
Une vision lucide et éclairée
Au vu de son parcours, le diplomate tricolore est nommé secrétaire général du quai d’Orsay en 2004. Une consécration qui lui vaudra d’être élevé à la distinction d’Ambassadeur de France par le président Jacques Chirac deux ans plus tard . Mais peu importe les médailles. Jean-Pierre Lafon brille aujourd’hui par sa vivacité d’esprit. Et s’il n’a plus aucune responsabilité diplomatique, celui qui n’a dorénavant plus rien à prouver, intervient dans le cadre de différentes fondations ou associations pour apporter sa vision du monde. La vision lucide et éclairée d’un homme indépendant. « On ne naît pas diplomate, on le devient », assure-t-il. À bon entendeur.